La statuette est portée par une base circulaire où sont appliqués des têtes d’anges et des mufles de lion disposés en alternance, et un sillon concentrique dans lequel ont été fixés des fragments de roches métamorphiques composées de quartz et de sulfures. La figure de Daphné s’y tient debout, la jambe droite fléchie et placée légèrement en avant, vêtue d’une robe drapée découvrant la cuisse et la jambe droite ainsi que le bout du pied gauche. Les chairs sont en argent blanc, tandis que les vêtements et les cheveux ont été dorés. C’est à la ceinture, ornée de motifs inspirés de la joaillerie, que s’ouvre la statuette, dont la partie inférieure, dotée d’un large bandeau interne, s’emboîte dans la partie supérieure. Le buste est revêtu d’un corsage loin du cou, orné d’une tête d’ange. Les manches courtes et plissées resserrées par un ruban dégagent largement les bras. Les avant-bras sont levés à la verticale de part et d’autre du visage et s’interrompent aux poignets où sont fixées des branches de corail. La tête est légèrement inclinée vers la gauche, le regard est orienté dans la même direction, vers le bras gauche et sa ramure de corail. Ce visage élégant aux traits classiques, au nez droit, porte une expression de douceur résignée, sinon de mélancolie. Les lobes des oreilles portent la trace de boucles d’oreilles disparues, les cheveux dorés, ornés d’un bijou au-dessus du front, sont ramenés sur le haut de la tête dont le crâne est évidé pour recevoir la principale branche de corail. L’ensemble a été consolidé par douze bagues en argent de facture sommaire où sont sertis, dans des bâtes, des cabochons de grenats et de turquoises. Huit délicats rameaux de feuillages de laurier en argent peint en vert et verni, fixés aux extrémités de certaines branches sont tout ce qui reste des feuillages d’origine.
Dans les Métamorphoses, Ovide fit le récit de l’histoire de la nymphe Daphné qui, pour fuir les ardeurs d’Apollon, fut par la volonté de son père métamorphosée en laurier. La statuette d’argent et de corail la présente pétrifiée, saisie à l’instant même de sa métamorphose végétale. Cette vision dramatique et saisissante, qui mêle avec audace la référence à la statuaire antique et l’exotisme du monde marin des antipodes, fut imaginée dans l’atelier de Wenzel Jamnitzer, le plus grand orfèvre de Nuremberg (1507/08-1585). Il en existe une version plus tardive, reprise par Abraham Jamnitzer, fils de Wenzel, d’après les modèles de son père, qui faisait partie des anciennes collections des Electeurs de Saxe, aujourd’hui au musée de la Grüne Gewolbe de Dresde.
Pour sa Daphné, Jamnitzer poussa à l’extrême l’interprétation plastique du vase à boire anthropomorphe qui était fréquente au sein de l’orfèvrerie germanique, mais dont l’usage, ici, est sans objet. Quelle était en effet la véritable fonction de la Daphné ? Longtemps la présence du corail, auquel les contemporains de Jamnitzer prêtaient des vertus prophylactiques, a porté à interpréter la statuette comme un « languier », l’un de ces ustensiles de la table médiévale construit comme un arbre à multiples branches où l’on suspendait des « langues de serpent » (dents de requin fossilisées) réputées capables de détecter le poison. Mais cette hypothèse est infirmée par le plus ancien inventaire du Kunstkammer (cabinet de curiosités) de Saxe (1587) où la Daphné d’Abraham Jamnitzer est seulement décrite comme une « figure de jeune femme portant une grande branche de corail ». Peut-être la Daphné avait-elle la vocation d’orner le centre d’une table ou, plus vraisemblablement, d’enrichir les armoires du Kunstkammer d’un prince allemand collectionneur et amateur de naturalia. En effet, loin de s’en tenir à la narration de la métamorphose de la nymphe, Jamnitzer a privilégié pour sa Daphné l’évocation des mutations naturelles de la Nature : c’est ainsi qu’il faut comprendre son choix des roches métamorphiques du socle et des ramures de corail, que ses contemporains considéraient comme une espèce étrange, ni tout à fait végétale, ni tout à fait minérale. Par ce discours, au-delà de l’évocation de la métamorphose mythologique, il rejoignait les préoccupations des savants de son temps qui s’efforçaient alors d’identifier et de classer toutes les espèces naturelles. Ce corail rouge, pêché en grande profondeur en Méditerranée, notamment sur les côtes de Sicile dans la région de Trapani, a donné lieu à la Renaissance à de nombreuses créations artistiques. Nul doute qu'une si grande ramure de corail, à la fois rare et coûteuse, était à elle seule considérée comme l'un des mirabilia les plus recherchés par les collectionneurs.