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Arts de la laine et de la soie

Bonnet de Charles Quint, canevas de lin et broderie, Espagne.Quand les princesses d'Europe brodaient de M.A. Privat-SavignyCahier du musée national de la Renaissance N°2Edition RMN 200318 euros

Bonnet de Charles QuintEspagne, vers 1550 lin et broderie ECL 2353

La petite taille de ce bonnet (O,18m de diamètre) nous renseigne sur son usage : il était très probablement destiné à servir de doublure à la couronne de l'empereur Charles-Quint, posée, et non enfoncée, sur sa tête. L'aigle bicéphale, brodée sur la calotte semble attester qu'il a bien appartenu au chef du Saint Empire romain germanique, et sa provenance est bien documentée : jusqu'à sa vente aux enchères en 1836, il était conservé dans le trésor de la cathédrale de Bâle, accompagné d'un parchemin signé du trésorier de Philippe II en 1576, ainsi rédigé :"Bonnet qui appartenait à Charles-Quint, empereur. Garde-le mon fils en souvenir de Juan de Garnica."

Le bonnet est formé de quatre triangles égaux cousus ensemble et à la base desquels vient se fixer un large rebord droit. L'un des triangles est orné d'un coeur à croisillons de croix de Malte, l'autre de l'aigle bicéphale du Saint Empire romain germanique surmontée d'une couronne impériale, le troisième comporte un motif de coeur à croisillons et pavages rosacés, le dernier reprend l'aigle bicéphale en plus petit. Le bord relevé est lui, travaillé en cinq demi-cercles. Le premier est décoré d'une branche fleurie de trois ?illets, entourée d'oiseaux hauts sur pattes et de deux aigles bicéphales. Le deuxième demi-cercle montre un grand oiseau entouré de personnages et de lapins. Le troisième est brodé d'une femme, assise dans une barque, coiffée d'un bonnet pointu, tenant d'une main une girouette, de l'autre, un oiseau. On a pu y voir une allégorie de la Fortune, ballottée par les flots. Le quatrième porte en bas un griffon et l'agneau pascal, chargé d'un ciboire ; au centre, un personnage -une sirène ?- coiffé de plumes et qui semble émerger d'un nuage est en compagnie, sur sa droite, de deux autres figures dont l'une se tient sur une barque, allusion possible à la traversée de Charles Quint lors de la bataille de Tunis, en 1535. Le dernier motif contient des ?illets, des animaux, des sirènes, des croix de Malte et des oiseaux stylisés. La technique utilisée est celle du buratto : un canevas tissé -ici en lin- sert de base à la broderie. L'encadrement des demi-cercles est en "reticella", un point de dentelle dit "de Venise", c'est à dire à l'aiguille. Notons que les premiers livres de modèles pour broderie sur buratto apparaissent à Venise en 1527, ce qui rend tout à fait vraisemblable la datation de cette pièce.

La valeur historique et sentimentale qui s'attache à ce bonnet de Charles Quint en fait une des pièces les plus célèbres des collections de tissus du Musée d'Écouen. Elle ne saurait pourtant cacher (comme l'arbre cache la forêt), le caractère exceptionnel de la collection de dentelles d'Écouen dans son ensemble. Elle provient entièrement du Musée de Cluny où la plupart des pièces étaient exposées depuis la création, en 1843. Ce parti-pris d'exposition, l'un des premiers en Europe, influença jusqu'au renouvellement de la production de dentelle en France. On se mit à recopier des motifs Renaissance et cette production de la deuxième moitié du XIXe prit le nom de "Cluny". Surtout, les musées d'arts décoratifs du monde entier commencèrent à acquérir eux aussi des collections entières de dentelles anciennes. Mais les quelque 200 pièces du Musée d'Écouen continuent à former une collection de référence, du point de vue historique comme du point de vue de leurs origines. Elles couvrent en effet tout l'éventail de la production des trois grands pays dentelliers -la France, la Belgique et l'Italie- et l'on verra aussi bien des pièces exceptionnelles du XVIIIe siècle que des produits courants et locaux, témoignages fragiles d'une activité économique dont l'importance mérite d'être redécouverte.