Engagée en 2011, la restitution numérique 3D de la chapelle du château d’Écouen répond à un double objectif : permettre au public de retrouver in situ le décor de la chapelle au XVIe siècle ; et utiliser l’outil numérique et la réalité augmentée pour confronter les connaissances historiques avec la précision mathématique du calcul numérique. En effet, si l’architecte Victor Dutocq avait tenté au XIXe siècle une restitution par le dessin, la fiabilité de nouvelles technologies permet aujourd’hui de vérifier et exclure certaines hypothèses, et d’en lancer de nouvelles.
Mené dans le cadre du plan national de numérisation du patrimoine et de la création du ministère de la Culture et de la Communication, ce projet est piloté par le service des publics et de la communication du musée national de la Renaissance, en collaboration avec le domaine de Chantilly. Il a mobilisé à la fois des chercheurs (historiens et conservateurs) réunis en un comité scientifique et une entreprise spécialisée dans la conception et la réalisation de dispositifs multimédia innovants (On-Situ).
Réuni une dizaine de fois entre septembre 2011 et décembre 2012, le comité scientifique a travaillé de concert avec On-situ pour adapter numériquement les réflexions scientifiques, établissant ainsi des conclusions sur l’histoire de la chapelle, son architecture et l’implantation du décor. Devant les incertitudes, la ligne choisie a été de ne pas reconstituer, sauf nécessité visuelle, les éléments trop invérifiables. Des choix intermédiaires ont souvent dû être adoptés. En parallèle les responsables de la médiation ont oeuvré à la diffusion du projet (réalisation de la vidéo, construction de l’application).
Avec l’aide du comité scientifique, les numérisations 2D et 3D ont été assemblées de manière cohérente pour restituer virtuellement différentes hypothèses d’états architecturaux et mobiliers disparus. Elles ont été réalisées par photogrammétrie, technique basée sur la prise de vues photographiques, qui restitue de manière extrêmement fidèle et réaliste les œuvres numérisées en trois dimensions, dans un protocole de prise de vue et de traitement cohérent et humainement assisté.
Dans un second temps, l’agence de design numérique Mosquito a travaillé à la diffusion des restitutions 3D sur un site internet, une table numérique et une application iPad. En utilisant le CMS (système de gestion de contenu) SPIP, elle a bâti une interface graphique adaptée à sa triple utilisation.
La plupart des documents d’archives relatifs au château d’écouen ont disparu dès le XVIIe siècle et surtout à la Révolution. La restitution se base sur la consultation des descriptions de l’époque moderne, sources lacunaires et partiales dans leurs attributions. Les inventaires conservés au château de Chantilly (inventaires du duc de Bourbon, rapports des commissions révolutionnaires) ont donné des indications précieuses. Une source phare reste l’album de dessin de Charles Percier, réalisé en partie pour l’architecte Victor Baltard, qui décrit tantôt très précisément, tantôt assez vaguement, la chapelle dans son état en 1793-94. Les études réalisées depuis le début du XXe siècle (Du Colombier), et plus récemment par François-Charles James, Cécile Scaillierez ou Elena Bugini ont été aussi des éléments essentiels de la recherche.
Le travail du comité scientifique a permis de résoudre plusieurs questions essentielles et de préciser les incertitudes qui demeurent nombreuses. La réflexion sur l’histoire et l’architecture de la chapelle n’a pas permis de découvrir avec une totale certitude à qui celle-ci était consacrée et si le connétable de Montmorency avait établi, ou fait établir, un réel programme iconographique pensé. Si tout porte à croire que le décor de la chapelle est davantage le fait d’un collectionneur mécène et découvreur de talents, la connaissance du programme des vitraux apporterait peut-être une clé de lecture différente, notamment par rapport à d’autres chapelles princières contemporaines.
La restitution a établi clairement la disposition des lambris, la situation de l’autel, la constitution des claire-voies, l’emplacement de nombreuses oeuvres d’art (retables, statues, peintures). D’autres questions restent objet de débat, la plus importante étant celle des vitraux, remplacés dans la restitution par une grisaille contemporaine recomposée. Les autres cas problématiques (le sol, la restitution des écussons, la position des vitraux restants sur la baie) ont été traités pour permettre aux visiteurs une lecture aisée, avec des restitutions peu interventionnistes.
Ce projet propose donc, avec une reconstitution au plus juste de la connaissance actuelle, de vraies avancées de la recherche concernant la chapelle. Mais il n’exclut pas d’autres approches et de nouvelles découvertes. Il est aussi le point de départ d’un partenariat avec Chantilly sur l’histoire commune des deux châteaux. Le résultat est disponible sur un site internet, et sur une table numérique en vis-à-vis de la chapelle d’Écouen.
Thierry Crépin-Leblond, Conservateur général du patrimoine, directeur du musée national de la Renaissance – Château d’Écouen
Nicole Garnier, Conservateur général du patrimoine, en charge du musée Condé - Domaine de Chantilly
Guillaume Fonkenell, Conservateur du patrimoine au musée du Louvre, chargé de l’histoire du Louvre, département des Sculptures
Assistés de
Gabrielle de Roincé, Archiviste-paléographe
Direction de projet Michaël Caucat, Responsable du service des publics et de la communication au musée national de la Renaissance – Château d’Écouen
Thierry Crépin-Leblond (TCL) Guillaume Fonkenell (gFl) Gabrielle de Roincé (GdR) Matthieu Deldicque (MD) Bertrand Bergbauer (BB) Muriel Barbier (MB) Michaël Caucat (MC) Charlotte Drahé (CD)
Jean-Michel Sanchez, Réalisation Julien Roger, Direction Technique Anthony Charmoillaux / Emmanuel Durand, Numérisation Antoine Van Waesberge / Rémy Malin, Infographie 2D/3D Claudio Todeschini, Comédien voix-off
Emmanuel Rouillier, graphisme et réalisation Arnaud Martin, développement SPIP Jimmy Hertz, Conception de la table tactile Claire Mouret, Conception du totem iPad
© RMN-Grand Palais (musée de la Renaissance, château d’Écouen ) / Gérard Blot © RMN-Grand Palais (musée de la Renaissance, château d’Écouen) / René-Gabriel Ojéda © RMN-Grand Palais (musée de la Renaissance, château d’Écouen) / Tony Querrec © RMN-Grand Palais (musée de la Renaissance, château d’Écouen) / Droits réservés © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / Franck Raux / René-Gabriel Ojéda © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / Thierry Ollivier © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojéda © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Laurent Chastel (gravure raimondi) © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot © RMN-Grand Palais / Gérard Blot © Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Mauro Magliani © Patrice Yakan © Mélanie Demarle © Castres, musée Goya – Cliché P. Bru CAOA / AD 41 Musée Vivenel, Compiègne ©photo Christian Schryve Paris, Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge
Ministère de la Culture et de la Communication Sonia Zillhardt, chargée de mission, Département de la recherche, de l’enseignement supérieur et de la technologie, Secrétariat général ; Jean-Luc Biscop, architecte urbaniste de l’État, département des systèmes d’information patrimoniaux, Direction générale des patrimoines ; Jean-Marie Besnier, adjoint au chef du département des systèmes d’information patrimoniaux, Direction générale des patrimoines ; Florence Vielfaure, chargée de mission Multimédia, Direction générale des patrimoines ; Laurent Manœuvre, chef du bureau de la diffusion numérique des collections, Service des musées de France
Au musée national de la Renaissance Martine Gouet, secrétaire générale, Muriel Barbier et l’équipe de la conservation et de la régie, Amélie Godo et l’équipe du service des publics et de la communication, L’équipe de la documentation, Hervé Michel, et l’équipe des services techniques, et l’ensemble de l’équipe du musée Avec le soutien de la Société des Amis du musée national de la Renaissance
Au domaine de Chantilly Charlotte Drahé, responsable des publics jusqu’en 2012, aujourd’hui responsable des publics à la Cité de l’Économie et de la monnaie, Olivier Kollek, directeur marketing, Agnès Leleup, secrétaire de conservation, Astrid Grange, secrétaire de conservation
À l’agence photographique de la Rmn René-Gabriel Ojéda, responsable de la production photographique , Agnès Reboul, documentaliste iconographe Rmn
ainsi que Fabienne Audebrand, chargée d’études documentaires, conservation régionale des monuments historiques, DRAC Centre - Pascal Bénistant, ingénieur d’études au CNRS MAP-Gamsau, ENSA-Marseille - Cécile Berthoumieu, attachée de conservation, musée Goya, Castres - Geneviève Bresc-Bautier, directrice du département des sculptures, musée du Louvre - Elena Bugini, université de Genève - Emmanuelle Federspiel, conservatrice du patrimoine, direction des Affaires Culturelles - Ville de Paris, conservation des Œuvres d’Art Religieuses et Civiles - Franck Genestoux, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Objets mobiliers - Marion Gilbert, technicienne en conservation préventive, musée de Bretagne - Michel Hérold, conservateur général, centre André Chastel - Daniel Imbert, conservateur général, direction des Affaires Culturelles - Ville de Paris, conservation des Oeuvres d’Art Religieuses et Civiles - Claire Iselin, conservateur du patrimoine, musée Vivenel, Compiègne - Pierre-Yves Le Pogam, conservateur en chef au département des sculptures, musée du Louvre - Mathieu Lours, docteur et agrégé en histoire, enseignant en histoire moderne, université de Cergy - Livio de Luca, ingénieur d’études au CNRS MAP-Gamsau, ENSA-Marseille - Marie Monfort, conservatrice du patrimoine, bureau des musées de la Ville de Paris Christian Olivereau, conservateur des Antiquités et Objets d’Art du Val-d’Oise - Françoise Perrot, directeur de recherche au CNRS - Laurence Prod’homme, conservateur du patrimoine, musée de Bretagne - Carine Royer, inventaire Île-de-France - Cécile Scaillierez, conservateur en chef au département des Peintures, musée du Louvre - Marie-Alice Virlouvet, chargée d’études documentaires au musée de Cluny – musée national du Moyen Âge
Anne de Montmorency est une figure de la Renaissance française parmi les plus importantes du Royaume. C’est le connétable, ou général en chef des armées et l’un des principaux ministres des rois François 1er et Henri II. Son vaste domaine va de Chantilly à Écouen, château qui devient sa résidence principale. Il commande pour la chapelle palatiale, un décor particulièrement original pour le XVIe siècle, relevé dans un album de dessins par l’architecte Charles Percier, juste avant son démantèlement à la Révolution. La chapelle perd alors son unité. Les œuvres, propriété des Condé depuis le XVIIe siècle, sont dispersées à l’occasion des saisies révolutionnaires. Fils du roi Louis-Philippe, le duc d’Aumale, héritier de Chantilly, décide d’y construire, à partir de 1876, une nouvelle chapelle pour y reconstituer le décor d’Écouen.
Écouen – Chantilly, deux châteaux pour une seule chapelle ? Difficile aujourd’hui d’imaginer l’éclat de ce décor Renaissance. Il nous faut superposer les images, émettre des hypothèses, à partir d’un agencement déjà réinterprété par le duc d’Aumale. Grâce à l’outil numérique, la structure architecturale redessinée peut recevoir les œuvres numérisées en 3D, dont les originaux sont conservés à Écouen, Chantilly, le Louvre ou dans des églises parisiennes. Des archives du XVIe aux relevés de Percier, les recherches ont permis une interprétation hypothétique, mais au plus juste de la connaissance actuelle. La simulation numérique nous offre cette expérience.
Le décor de cette chapelle palatiale s’inscrit pleinement dans l’esprit de la Renaissance française, alliant tradition gothique et retour à l’antique. C’est un volume rectangulaire de plus de 13m de hauteur éclairé par des vitraux et couvert par des voûtes d’ogives. Comme il est d’usage, l’omniprésence de l’héraldique en particulier sur la voûte peinte célèbre le propriétaire du château. La voûte est portée par les quatre sculptures en pierre polychrome des pères de l’Église, représentés assis, avec leurs attributs, dont saint Ambroise et saint Grégoire. Chapelle princière, elle dispose d’une sacristie au rez-de-chaussée, et d’un oratoire à l’étage d’où le connétable pouvait entendre la messe. Tous deux sont fermés par des boiseries richement sculptées. Sur le mur du fond, la tribune en bois, portée par des consoles en pierre, est sans doute destinée aux chantres et musiciens. De l’entourage de Jean Goujon, l’autel en marbre en deux parties est orné au niveau inférieur des représentations des quatre évangélistes, surmontés par un retable où figure le sacrifice d’Abraham. Il montre le goût du retour à l’antique dans le décor de la chapelle avec les ordres d’architecture et le bas-relief à l’antique. De part et d’autre de l’autel, deux colonnes doriques, surmontées de dais, accueillent deux statues en marbre représentant d’un côté l’Éducation de la Vierge, conservée dans l’église Saint-Leu-Saint-Gilles et de l’autre la Vierge à l’Enfant, aujourd’hui au Louvre. Grande originalité de la chapelle, les lambris marquetés représentent les douze apôtres dans des encadrements d’architecture en trompe-l’œil. La question des vitraux est complexe, et leur destruction quasi totale à la révolution a rendu la restitution impossible : le programme iconographique a ainsi presque intégralement disparu. Les sources indiquent que la baie d’axe racontait la Passion du Christ. Surmontées de scènes religieuses, les baies latérales accueillaient dans les parties basses, d’une part le connétable suivi de ses fils, et d’autre part Madeleine de Savoie sa femme, et leurs filles, en prière tournés vers l’autel. Seuls les vitraux des enfants ont été conservés. De très nombreux tableaux couvraient les murs de la chapelle, produisant un effet d’accumulation courant à l’époque. Trois seulement sont avérés : la Piéta du Rosso conservée au Louvre, une Nativité, aussi au Louvre, et La copie de la Cène de Léonard de Vinci, par Marco d’Oggiono, datée de 1506. Seul l’emplacement de la Cène est certifié.
Dans cette restitution où chaque objet trouve sa place, mille choses restent encore à découvrir et chaque œuvre a son histoire. À vous d’y entrer ! Belle découverte !
CD – MC - GdR
Babelon (Jean-Pierre), Chantilly, Paris : Scala, 1999, 247 p.
Bugini (Elena), « Les marqueteries de la chapelle Saint-Louis au château de Chantilly » in Frédéric Elsig dir. Peindre en France à la Renaissance, II Fontainebleau et son rayonnement , Milan : Silvana Editoriale, 2012, p. 171-183
Colombier (Pierre du), La Chapelle d’écouen , Paris : Gazette des Beaux-Arts, 1935, 15 p.
Courajod (Louis), « Les chandeliers de la chapelle du château d’écouen au musée du Louvre », in Mémoires de la société nationale des antiquaires de France , tome XL, Paris, 1880, p. 2-16
James (François-Charles), Jean Bullant. Recherches sur l’architecture française au XVIe siècle , Paris : école des Chartes, 1968, p. 101-109
Malo (Henri), « Les boiseries de la chapelle du château de Chantilly », in Bulletin de la société d’histoire de l’art français , 1944, p. 90-99
Pérouse de Montclos (Jean) dir., Le guide du patrimoine : Île-de-France , Paris : Direction du patrimoine CNMHS, Hachette, 1992, 750 p.
Scailliérez (Cécile), Rosso, « Le Christ mort » , exposition Paris, Musée du Louvre, 22 septembre 2004-3 janvier 2005, Paris : Réunion des musées nationaux, 2004, 111 p.
Les définitions du glossaire sont tirées principalement de Thomas (évelyne), Vocabulaire illustré de l’ornement par le décor de l’architecture et des autres arts , Paris : Eyrolles, 2012, 287 p.