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Arts du feu

Bassin " rustique " de Bernard Palissy

Bassin "rustique"Plat au serpent Bernard Palissy,Terre vernissée France Vers 1560 L. 53 cm ECL 1142

C'est aux céramiques rustiques -qu'il nommait " rustiques figulines "- que Bernard Palissy doit sa célébrité. De tels bassins (et aussi des aiguières, pichets, plats et coupes) sont sans équivalent dans la céramique européenne de l'époque. Ils connaîtront par la suite beaucoup d'imitateurs. Ils s'inspirent toujours de l'élément aquatique et mettent en scène des batraciens, des serpents, des poissons posés soit sur des fonds lisses soit sur des fonds de rocaille, incrustés de coquillages, de fossiles, des plantes ou de mousses. Tous les sujets ont été moulés sur nature et rassemblés dans une grande composition, elle-même moulée ce qui permet d'en réaliser plusieurs exemplaires.

Bernard Palissy (1510-1590) est sans aucun doute un des héros de l'imaginaire populaire français. Il incarne le personnage-type de l'artisan scientifique et philosophe, l'artiste si convaincu de sa recherche qu'il n'hésite pas à brûler " les tables et le plancher de sa maison " , ainsi qu'il l'écrit lui-même, pour alimenter son four et poursuivre le secret qui se dérobe, celui de l'émail blanc, à base d'étain. À vrai dire, toute la vie de cet autodidacte passionné est une suite d'événements peu communs, étroitement liés aux remous de l'histoire du XVIe siècle. Né à Agen, il rejoint la Réforme à Saintes vers 1540. Verrier de formation, il commence alors à se consacrer à la céramique, une tradition séculaire en Saintonge, pays dont le sous-sol est riche en fer. Il cherche à fabriquer des émaux opaques à base d'étain comme ceux qui couvrent la majolique italienne plutôt que les émaux translucides à base de plomb qui existent déjà en Saintonge. Après bien des essais et des échecs, des difficultés financières et familiales, il parvient à produire deux types de céramiques, des médailles, et des plats dont le décor, réalisé avec une combinaison d'émaux stannifères et plombifères imite la pierre, jaspe ou turquoise. Cette vaisselle conserve une fonction utilitaire, ce qui n'est pas le cas des fameuses " rustiques figulines ", céramiques ornées de représentations d'animaux qu'il produit à partir de 1556 et qui lui. Sa carrière est lancée, mais il sera désormais régulièrement poursuivi pour hérésie et ne devra son salut qu'à la protection du Connétable et de Catherine de Médicis. Celle-ci, tout comme Anne de Montmorency auparavant, lui commande vers 1567 l'installation d'une grotte aux Tuileries. Il est plus que probable que son achèvement est perturbé par la Saint-Barthelemy, en 1572, puisque Palissy fuit son atelier parisien pour s'établir à Sedan. Il publie désormais des livres relatant ses expériences entre deux condamnations au bannissement. Il meurt à la Bastille en 1590.

La place des grottes artistiques dans les jardins et aussi dans les conceptions esthétiques des mécènes de la Renaissance mériterait plus que le paragraphe que nous pouvons lui accorder ici. Mais on ne peut citer Bernard Palissy et Anne de Montmorency conjointement sans évoquer le projet fabuleux que le Connétable confia au potier, même si l'on ignore ce qu'il en advint exactement. La grotte exerce au XVIe siècle une étrange fascination, proprement maniériste, sur les grands seigneurs. Elle est un rappel de l'Antiquité, un lieu secret qui peut être consacré à la méditation ou au plaisir. Pour l'artiste cet univers sombre où l'élément aquatique règne (fontaines, stalactites, mousses et coquillages incrustés dans les parois où ruisselle l'eau) est une invitation ambiguë à faire vivre la nature en la recréant et en la peuplant de figures imaginaires, nées de la mythologie ou du rêve. Anne de Montmorency, qui a guerroyé en Italie avec François 1er, a vu de telles grottes. Primatice en a exécuté une pour le roi à Fontainebleau, en 1541. Le cardinal de Lorraine lui-même, Guise rival de Montmorency, en a commandé une à Primatice pour son château de Meudon. Le Connétable, lui, fait appel à Palissy, qui peinera de 1556 à 1564 sur le sujet. Le projet n'a jamais été achevé, et si une partie a été installée à Écouen, aucun vestige archéologique n'a été découvert. On suppose alors qu'après 1567, date de la mort d'Anne de Montmorency, les éléments déjà construits ont été utilisés pour la grotte de la reine-mère, aux Tuileries. Quoi qu'il en soit, une telle commande prouve, s'il en était besoin, combien le Connétable, passionné par les arts, se plaçait encore une fois, à l'avant-garde de son temps.